Je suis arrivée en Belgique en 2014 pour poursuivre mes études. J’étais alors pleine de projets et d’ambition, animée par la soif d’apprendre, de découvrir afin d’être plus tard utile pour mon pays et pour mon continent.

Ma vie académique a été riche en expériences positives. Par une approche pluridisciplinaire, j’ai pu valablement construire des ponts entre la formation de façon théorique, la recherche, les interventions et la pratique dans les domaines de l’économie et du développement.

Ma vie sociale quant à elle a toujours été un réel défi. En effet étant étudiante, je devais assurer ma survie par des activités génératrices de revenus. Or malgré ma préférence portée pour des activités en rapport avec mon domaine études, le choix n’était malheureusement restreint qu’à des jobs étudiants, plus ou moins éloignés, pour la plupart, des secteurs qui me correspondent le mieux.

Telle a donc été pour moi l’une de mes sources premières de frustration : ne pas avoir le droit (et la liberté) de choisir quelle activité mener pour subvenir à mes besoins. Mes compatriotes et amis d’autres d’origines hors UE déploraient également leur situation, justifiée uniquement par un statut, qu’ils soient étudiants étrangers hors UE, réfugiés, travailleurs, membres de famille d’un citoyen européen ou autre.

En observant autour de moi, je voyais des proches faire des choix qui ne reflétaient ni leur volonté, ni leurs convictions, ni leur intégrité et leurs valeurs morales, mais plutôt le choix de la nécessité du système, toujours en raison de leur statut. Ces choix allaient de l’orientation de leurs études, de leur carrière professionnelle, de leur projet socioprofessionnel, de leur vie sentimentale voir parfois de leur vie quotidienne. Or, l’enjeu de tels choix est généralement bien plus grand qu’il ne paraît, car ils engagent la dignité et la liberté de ceux qui les prennent, et peuvent engendrer des conséquences irréversibles au niveau personnel, au niveau administratif et d’un point de vue légal.

  • C’est le cas des étrangers qui, arrivés avec un visa de touriste et ignorant les droits y relatifs, se sont engagés par ignorance dans des formations et des activités auxquelles leur statut sur le territoire ne leur donnait pas accès ;
  • C’est le cas des demandeurs d’asile dont la demande est encore en cours, et qui s’investissent dans des activités informelles ;
  • C’est le cas des étrangers sans papiers qui, dans leur précarité et leur vulnérabilité, cèdent à la dépression et se laissent recruter par des réseaux clandestins ;
  • C’est le cas des jeunes arrivés avec un visa d’étude qui souhaitaient travailler sur le territoire alors que leur statut ne leur donne droit au marché de l’emploi qu’après que leur demande de permis de travail B ait été accordée par les bureaux de la région où ils résident. Alors certains, face à la contrainte et contre leur gré, contractent des mariages blancs, des mariages gris, des cohabitations légales de complaisance, des « bébés – papiers », des reconnaissances frauduleuses, et plein d’autres démarches illégales, sans qu’ils n’en mesurent, pour la plupart, ni la gravité ni la lourdeur des conséquences.

La liste des cas de figure ne saurait être exhaustive. Parmi les personnes en cause, nombreux sont ceux qui, malgré la noblesse de leurs intentions au départ et leur moralité, ont dû finir rapatriés de force dans leur pays d’origine, enfermés dans des centres de rétention, incarcérés dans des prisons, etc. et voir leur avenir à jamais compromis : c’est la fin du rêve d’une vie et d’une famille qui a cru en des jours meilleurs.

À titre personnel, j’ai dû être témoin du suicide d’un jeune compatriote qui avait été enfermé dans un centre de rétention et n’a pas trouvé d’autre issue que de quitter définitivement ce monde. Je devais informer sa famille que je connais au Cameroun, de cette tragédie. Et aussi la tentative d’une camarade que j’avais rencontrée à l’université et qui ne se voyait pas affronter la vie de « sans-papiers », avec un enfant dans les mains qui a été renié par le géniteur. Le souvenir de leurs flammes m’est gravé pour toujours et a radicalement modifié les projets et ambitions que je m’étais fixés.

C’est l’histoire de mes deux compatriotes, mais c’est aussi mon histoire, celle de ces milliers de personnes qui vivent un confinement social parce qu’ils n’ont pas le bon statut, pas les bons papiers, pas la bonne couleur, pas le bon accent, pas le bon profil et j’en passe ;

C’est l’histoire de cette multitude de personnes qui vivent un confinement moral dû à la privation de leurs droits fondamentaux et dont l’avenir est flou et incertain, mis entre parenthèse en attente impuissante d’une réponse ultime des autorités ;

C’est l’histoire des nombreuses personnes qui n’ont plus peur de la mort car elles le sont déjà depuis longtemps aux yeux de la loi ;

C’est l’histoire de ceux qui n’ont pas eu la chance et le prestige de prendre un avion pour une destination refuge, et qui, au lieu de tout de même parvenir à destination, ont désormais pour tombeau le ventre de la méditerranée ;

C’est l’histoire et la mémoire de l’humanité.

Grande a été ma joie de comprendre que je n’étais seule éprise des valeurs que véhicule Migration Responsable Asbl, ni seule déterminée à m’investir et m’y engager pleinement dans la dignité de tout être humain.

Une migrante